Compte rendu de la table ronde
Invités :
AIRBUS essai en vol :
Pierre GASTRIN, ingénieur météo aux essais en vol
SNCF réseau :
Fabrice IMBERT, ingénieur d’exploitation SNCF
Flying Whales :
Bastien LEFRANÇOIS, operations engineer
Equipe:
Animatrice :
Odile COUDERT, responsable de la division Transports de Météo-France (DSM/EC/Transports)
Co-animatrice :
Laura JOYEUX, étudiante en 3ème année à l’ENM, semestre Services météo-climatiques
Scribes :
Mehdi ABDELKRIM, Chloé MAFFRE étudiants en 3ème année à l’ENM, semestre Services météo-climatiques
Présentation des entreprises :
Pierre GASTRIN (Airbus) :
Je suis ingénieur météo aux essais en vol à Airbus, un constructeur aéronautique, l’un des leaders mondiaux de la construction d’avions de ligne. Je travaille aux essais en vol d’avions de ligne, pour la certification des nouveaux avions prototypes comme le Beluga XL, l’A330neo, etc. Il faut des conditions météorologiques particulières pour tester et valider les systèmes de pilotage automatique et les moteurs, afin de montrer aux autorités que l’avion peut voler sous tous types de conditions. En tant qu’ingénieur météo, je suis donc chargé de trouver les meilleurs créneaux de vols pour les campagnes de certification.
Fabrice IMBERT (SNCF) :
Je suis ingénieur d’exploitation au sein de SNCF Réseau, la partie gestionnaire du réseau de la SNCF (il existe également une partie commerciale, appelée SNCF Mobilités). Correspondant et animateur des problématiques météo du système ferroviaire, je participe entre autres à la rédaction du cahier des charges de l’incidence de la météo sur le transport ferroviaire. Je suis également président de la Commission des Transports Terrestres et du Génie Civil du Conseil Supérieur de la Météorologie.
Bastien LEFRANÇOIS (Flying Whales) :
Je travaille pour la startup Flying Whales dont l’objectif est de développer en 5 ans un dirigeable pour le transport de charges lourdes. La machine sera massive et longue de 150 m ce qui se traduit par une forte sensibilité aux conditions météorologiques (rafales, turbulences …), surtout lors d’un vol stationnaire. Il faut que nous prenions en compte ces phénomènes pour assurer la sécurité lors d’un vol stationnaire opérationnel et valider le business plan.
Questions-Réponses :
Quelle est votre source d’informations météorologiques ? En quoi la météo est-elle une problématique importante dans le cadre de votre activité ?
Pierre GASTRIN (Airbus) :
Nous disposons d’une convention avec Météo-France qui nous donne accès à un extranet depuis 2013. Elle arrive à terme en 2018 et sera à priori renouvelée pour 5 ans. On utilise des outils météo quotidiennement pour les vols de la journée, ainsi que pour l’optimisation du planning des vols de J1 à J3 (du lendemain du jour de la prévision, à 3 jours après). Ces outils répondent à 95% à nos besoins : ils sont sur-mesure et évoluent en continu, surtout depuis 2016 (NDLR : arrivée de Pierre GASTRIN chez Airbus). Les essais en vols ont des besoins spécifiques : il nous faut des terrains avec une direction de vent perpendiculaire à la piste. On a par exemple développé en interne un outil qui prend des données météo en entrée et calcule automatiquement les composantes de face et de travers sur un aéroport. On dispose également d’un accès au modèle Arpège 0.1 et 0.5, ainsi qu’à la prévision d’ensemble CEP. Le modèle Arome pourrait être demandé en plus prochainement, pour les problématiques liées au brouillard par exemple, ou pour les vols basse altitude près des reliefs.
Odile COUDERT (experte météo) :
Vous utilisez uniquement des données issues de modèles ?
Pierre GASTRIN (Airbus) :
Nous utilisons les modèles mais également les observations, les prévisions, les cartes de fronts … Tout ce qui peut nous servir à travailler en opérationnel.
Avez-vous accès à Synopsis également ?
Pierre GASTRIN (Airbus) :
Non, il n’y a pas de Synopsis sur l’extranet, pour l’instant nous n’avons pas accès à un outil aussi interactif que ne l’est Synopsis, peut-être plus tard.
Développez-vous vous-même vos propres programmes, par exemple pour les directions de vent ?
Pierre GASTRIN (Airbus) :
Oui, nous avons des développeurs chez Airbus qui ont par exemple créé un programme pour les vents de travers, prenant en entrée les données publiques de Météo-France. En cas de nouveaux besoins, on pourra faire appel à leurs compétences informatiques. Par exemple, nous avons le projet de développer un portail météo pour les essais en vol, avec des informations grand public pour le personnel d’Airbus.
Fabrice IMBERT (SNCF) :
La SNCF s’organise en 3 grands services : chacun d’entre eux est affecté de manière différente par le risque météorologique. La partie gestion du réseau se doit de garantir la circulation des trains quelles que soient les conditions météorologiques. Nous avons donc besoin de prévisions météorologiques plusieurs jours à l’avance pour assurer le transport de marchandises et de personnes. La partie maintenance et travaux possède et entretient plus de 30 000 km de lignes qui traversent des zones avec des climats différents (montagnes, plaines, côtes …). Le matériel roulant est lui aussi sensible aux conditions météo. Nous avons besoin de prévisions sur tous les paramètres qui jouent sur notre météo-sensibilité pour pallier à ces risques et sommes donc un client de Météo-France. Enfin, la partie ingénierie a la tâche de construire des structures pouvant durer 50 à 100 ans : l’évolution du climat nous pousse à envisager des phénomènes amplifiés et délocalisés. Nous essayons de mener des études climatiques et statistiques pour mieux nous préparer. Cela passe aussi par la collecte de données météo à l’aide de capteurs répartis le long des rails.
Bastien LEFRANÇOIS (Flying Whales) :
J’ai déjà un peu répondu à cette question dans l’introduction, je peux toutefois compléter ma réponse avec un nouveau volet : nous ne savons pas encore où construire notre usine, sachant qu’on attend une production en cadence derrière, avec un nouveau dirigeable tous les mois à peu près. Il ne faut donc pas se tromper sur le choix du site. Pour l’instant, nous avons demandé quelques prestations à Météo-France : sur le vent, sa direction, la nébulosité, les conditions de vol en général, un peu de climatologie également. Pour le reste, aujourd’hui, en ce qui concerne les outils de monitoring, la planification des opérations, la construction du business plan, la sensibilité de la machine aux perturbations météo : tout est à faire. C’est aussi pour cela qu’on a répondu présent à l'invitation de ce forum, on a besoin de personnel.
Mis à part la sensibilité du dirigeable aux turbulences, avez-vous besoin de plans de vols météo pour l’énergie ?
Bastien LEFRANÇOIS (Flying Whales) :
Aujourd’hui, notre programme est principalement basé sur les besoins de l’ONF, qui consistent en la récupération de bois dans des montagnes souvent peu accessibles. Et les montagnes et l’aérologie, c’est compliqué. De ce fait, pour le débardage, il s’agira surtout d’un marché assez local, avec des rotations sur quelques dizaines de km seulement : la trajectoire sera surtout dirigée par les contraintes orographiques. Cela dit, une fois que l’on aura conçu une machine pouvant chercher 60 tonnes de bois en montagnes sans nécessiter d’infrastructures sur place, on se doute que l’on aura des demandes d’autres secteurs. Il faudra donc penser à une stratégie de vol de transit. Dans ce cas, il nous faudra un routage météo, oui. On se pose également cette question pour d’autres problématiques, par exemple: si nous avions des vols à faire en Polynésie française, et que nous disposions d’une ligne d’assemblage en France et en Chine, comment rejoindrait-on la Polynésie ? Pour cette problématique, une étude météo serait indispensable.
Odile COUDERT (experte météo) :
Les dirigeables ne sont pas transportables ?
Bastien LEFRANÇOIS (Flying Whales) :
Difficilement, car ils sont plus gros que tous les autres moyens de transport. Cela a déjà été fait, par exemple pour une campagne de mesures dans le désert du Botswana : on a transporté un dirigeable en porte-conteneurs. Pour cela, ils ont dû le démonter entièrement. Et pourtant, ce dirigeable était sensiblement plus petit que le futur ballon de Flying Whales, qui ne devrait pas être démontable.
Avez-vous des difficultés à interpréter les informations météo ? Disposez-vous de personnels formés ? Ou attendez-vous de recevoir de la part de Météo-France des produits faciles d’utilisation ?
Fabrice IMBERT (SNCF) :
Nous ne recevions que des données brutes au début de notre collaboration avec Météo-France. Notre personnel n’est pas formé et cela a donné lieu à une mauvaise interprétation et des conflits potentiels. Aujourd’hui, nous disposons de logiciels, avec interface graphique, qui nous permettent de faire le lien entre les données et le ferroviaire. A terme, nous voudrions modéliser toutes les interactions entre la météo et le risque ferroviaire. Nous ne maîtrisons pas bien les liens entre la météo et les problèmes techniques d’un train. Cela nécessite la fusion de plusieurs métiers mais cela devrait nous permettre de quantifier les liens (en termes de seuils par exemple).
Bastien LEFRANÇOIS (Flying Whales) :
On ne sait pas encore comment vont nous impacter les phénomènes météo. Un de nos plus grands enjeux est de définir des seuils et savoir les détecter, les prévenir et les visualiser. Un ballon, c’est une machine thermodynamique avec un gaz porteur moins dense que l’air ambiant. Le vol dépend donc de plein de paramètres atmosphériques (une perte de rayonnement due à un petit voile de cirrus peut tout changer par exemple). Et tous ces facteurs vont affecter le pilotage. Actuellement, toutes les connaissances nécessaires sont intégrées dans la formation des pilotes. Par contre le transfert de charges dans un environnement compliqué va être décisif : il faut qu’on arrive à bien comprendre les interactions pour savoir ce qu’on est capable d’outiller dans les marges d’exploitation et de sécurité. Quand on demande une information météo, par exemple pour l’implantation du site, on obtient des statistiques selon une conjonction de facteurs etc, et tout cela est interprétable. Le problème c’est surtout de savoir ce qu’on doit demander. Comment quantifier les phénomènes météorologiques en termes d’impact, voilà notre principale difficulté. Pour l’instant, tout cela est prospectif, nos besoins, par le biais de nos études futures, émergeront avec l’avancée du projet vers son développement.
Pierre GASTRIN (Airbus) :
Avant 2016, le personnel d’Airbus n’était pas formé mais il avait accès à des données comme les champs du modèle Arpège. L’interprétation des données était alors difficile. Par exemple, on sait que la vitesse de l’air réchauffe le fuselage de l’avion: dans les faits, on n'observe pas de givrage sur un avion en vol si la température est supérieure à -6°C. L’indice de givrage fourni par Arpège ne pouvait pas en tenir compte donc il fallait l'associer au champ de température sur le niveau de vol pour une utilisation correcte. Aujourd’hui, un ingénieur ayant suivi le cursus ENM peut apporter son expertise dans l’interprétation des modèles numériques et mettre en garde contre les "erreurs" d'utilisation.
question pour flying whales: Plus tard, aurez-vous besoin d’une expertise météo comme Airbus ?
Bastien LEFRANÇOIS (Flying Whales) :
Oui, nécessairement. La différence avec Airbus, c’est qu’ils disposent de l’expérience de différents programmes : leur problématique c’est surtout d’adapter une technologie existante. Chez Flying Whales, il s’agit de certifier notre premier programme, pour l’instant il nous faut surtout comprendre les vulnérabilités du dirigeable. Et ces vulnérabilités ne sont pas les mêmes que celles affectant les avions, par exemple un peu de buée se formant sur l’enveloppe du dirigeable pèse tout de suite très lourd au vue de l’inertie totale de l’appareil, on a donc dans ce cas un gros besoin d’informations sur la température de rosée, qui entraîne un phénomène qui touche moins les avions.
Disposez-vous d’instruments météo embarqués ?
Pierre GASTRIN (Airbus) :
Nous avons mis en place plusieurs projets comme «Aircraft as a Weather Sensor» qui concernent cette problématique. Le but est d’utiliser l’avion comme un instrument météorologique pour mesurer la pression, la température, l’humidité … et de partager ces données avec Météo-France.
Quelle serait l’utilité d’instruments météo embarqués pour vous ? Qu’est-ce qui est faisable ?
Bastien LEFRANÇOIS (Flying Whales) :
Nous pourrions avoir besoin d‘un modèle de monitoring qui nécessiterait des mesures pour l’alimenter. Nous pourrions aussi envisager d’avoir des instruments embarqués (type lidar) pour s’affranchir du modèle.
Fabrice IMBERT (SNCF) :
Nous disposons de nombreux capteurs, par exemple des anémomètres sur les lignes à grande vitesse. Ces dispositifs sont intimement liés à la sécurité ferroviaire : la vitesse des trains est réduite instantanément en cas de dépassement de seuil. Mais certaines installations datent de 20 ans, seulement une partie des anémomètres sont connectés, il faut aller chercher les données pour les autres. Idéalement, il nous faudrait une interface de visualisation de ces données pour le personnel travaillant proche des zones à risques, par exemple sur les chantiers en cas de fortes rafales de vent. Un autre objectif de ces capteurs est de comprendre comment les différents paramètres météorologiques interagissent au niveau des rails, ce qui nous permettrait à terme d’intervenir en amont des incidents et non plus uniquement en réaction à ces incidents.
Vos observations sont-elles mises à disposition de Météo-France ? Sont-elles assimilées par les modèles ?
Fabrice IMBERT (SNCF) :
C’est un projet en cours. Nous avons créé une direction Big Data il y a 3 ans, pour rassembler et traiter toutes ces données. Avec d’autres organismes (des associations d’amateurs, la RTE, Renault …) nous commençons à fédérer et partager les données, avec une expertise de Météo-France. Il faudrait également arriver à traduire nos données spécifiques en données intéressantes pour les autres, par exemple traduire une température de rail en température ambiante. A force de contributions, on pourrait avoir aussi une évaluation de la mesure : cela nous permettrait d’éliminer les capteurs dysfonctionnels.
Envisagez-vous l’impact sur votre entreprise du changement climatique ?
Pierre GASTRIN (Airbus) :
En ce qui concerne les essais en vol, la question n’a pas encore été abordée, on prévoit jusqu’à 4 jours après le jour de la prévision au maximum. C’est le cas par contre dans d’autres services, comme pour le bureau d’études environnementales, où par exemple on étudie l’influence d’une augmentation de la turbulence en ciel clair qui peut être problématique pour les vols transatlantiques, ou de la turbulence convective dans les trajets proches de l’Equateur. Dans l'optique de tels changements climatiques, on prévoit une structure de voilure plus solide pour les avions du futur.
Odile COUDERT (experte météo) :
Cela dit, cela pourrait faire évoluer à terme les contrôles des essais en vol ?
Pierre GASTRIN (Airbus) :
Oui, il faudra peut-être revoir les seuils d’exploitation en temps chaud ou froid et pousser les certifications. Ou au contraire se dire: il y a très peu de chance d’avoir une température de -30°C sur les aéroports et baisser les certifications. Pour l’instant il n’y a pas de remise en question de ces certifications mais cela pourrait arriver. L’année dernière par exemple, il a été compliqué de trouver une température de -25°C en février pour les essais de l’A330neo, surtout pour trouver un aéroport avec un terrain compatible avec l’avion testé. Dans un premier temps nous étions partis sur le Canada mais une semaine avant, les prévisions d’ensemble annonçaient une température de -10°C et nous avons dû nous replier sur le Kazakhstan. C’était compliqué et cela le sera encore plus à l’avenir donc c’est effectivement une problématique qui risque de se poser.
Fabrice IMBERT (SNCF) :
La SNCF a créé une direction développement durable il y a 5 ans dans le but de s’adapter au changement climatique et de s’inscrire dans le développement durable. Dans cette optique, nous effectuons un travail pour voir quels paramètres météo influeraient sur des phénomènes tels que le patinage/enrayage. Il faut aussi voir quels phénomènes seront amplifiés par le réchauffement climatique pour ainsi modifier le matériel en conséquence (rails, trains, ouvrages d’art …).
Bastien LEFRANÇOIS (Flying Whales) :
En ce qui nous concerne, nous avons déjà du mal à identifier l’impact de la météo aujourd’hui sur nos dirigeables, on en reparlera dans quelques années.
L’énergie qu’utilisent les dirigeables est-elle écologique ? Avez-vous des revendications écologiques ?
Bastien LEFRANÇOIS (Flying Whales) :
Un dirigeable est un ballon propulsé ; pour pouvoir le diriger, il y a forcément un stockage d’énergie fossile. Nos premiers vols utiliseront obligatoirement de l’énergie thermique. Pour des raisons de maintenance et de performance on étudie également la propulsion électrique, mais surtout pour satisfaire un besoin fonctionnel et opérationnel plus qu’écologique. On sait que le dirigeable a une image écolo, mais on sait également quels sont ses impacts sur la planète. L’argument facile est de se dire : il flotte, la portance est gratuite. Sauf qu’au regard de son cycle de vie, l’hélium est tout sauf gratuit. On a un groupe de travail transverse qui essaie d’évaluer rigoureusement l’empreinte de notre machine et comment optimiser les points les plus impactants. Notre empreinte c’est une chose, mais le but de Flying Whales c’est d’offrir la possibilité de se passer de technologies plus polluantes. Et de manière générale, on a plutôt vocation à aller chercher du bois dans des forêts françaises gérées comme des écosystèmes plutôt que du soja au Brésil.
Pour l’instant, imaginez-vous plutôt une internalisation de la compétence météo ou une assistance de la part de Météo-France ?
Bastien LEFRANÇOIS (Flying Whales) :
La compétence météo serait détenue en interne, par le pilote, mais il faudra peut-être l’associer à un routage fait par l’extérieur.